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La bonne vie, la bonne mort...5

 

Dans ce qui suit, je me concentre sur les cas dans lesquels les humains ne tirent pas profit,  sur le plan économique ou autre, de la mort des animaux non humains en question, et où les personnes qui s'occupent de ces animaux - compagnons, vétérinaires ou autres – croient sincèrement que l'euthanasie est la meilleure option pour ces animaux. Par exemple, un chat atteint d’insuffisance rénale, qui souffre intensément et dont l’état, après un traitement intensif, n'a aucune chance de s'améliorer, même s'il peut vivre quelques mois de plus, ou un pigeon de ville qui est renversé par une voiture et qui, autrement, mourrait inévitablement d'une mort lente. Ces types de situations soulèvent deux séries de questions étroitement liées. La première série concerne la question de savoir si les êtres humains ont le droit, voire le devoir, de choisir la mort pour autrui s'il souffre de manière insupportable et n'a aucune chance de voir son état s'améliorer. La seconde porte sur la manière d’aborder l'euthanasie des animaux non humains avec respect, dans l'état actuel des connaissances sur la cognition, les émotions et les cultures des animaux non humains, et de prendre en compte leur agentivité dans ce processus.

Les humains et les autres animaux sont engagés dans de nombreuses relations, dont certaines peuvent signifier une dépendance mutuelle. Dans les structures de pouvoir actuelles, les humains régissent des aspects importants de la vie de nombreux autres animaux. Les animaux non humains domestiqués ont été rendus dépendants des humains, les infrastructures et les activités humaines définissent l'espace dans lequel peuvent se mouvoir nombre d’individus et de communautés, etc. Dans certains cas, cela peut conduire à des obligations de soins, y compris médicaux[41]. Si accroître la liberté des animaux non humains - que ce soit en reformulant les relations ou en instaurant des droits - est un objectif important pour ceux qui se préoccupent de leur sort, dans les circonstances anthropocentriques actuelles, les humains doivent parfois prendre soin des autres animaux et prendre des décisions à leur place[42].

Cela ne signifie pas que les humains doivent adopter une attitude condescendante. Les autres animaux s'expriment et influencent la vie des humains, et vice-versa, aussi les humains doivent-ils reconnaître et favoriser l'agentivité des animaux dans leurs relations. Dans le cas de l'euthanasie, cela signifie qu'il faut les prendre au sérieux en tant que sujets ayant leurs propres perspectives sur la vie, et prêter attention à leur expérience de la situation. Les procédures humaines entourant l'euthanasie peuvent nous éclairer sur la manière de s'y prendre. À première vue, il peut sembler problématique de comparer les procédures d'euthanasie humaine et non humaine. Après tout, il semble que les animaux non humains ne puissent pas parler et faire connaître leurs souhaits en ce qui concerne leur vie. Même dans le cas d’humains atteints de démence et de maladies mentales, ils ont à un certain moment clairement exprimé leur désir de mourir. Des études récentes sur les langages et les cultures des animaux non humains montrent toutefois que les autres animaux ont des modes d'expression complexes et nuancés[43]. Il convient d'en tenir compte, à peu près de la même façon que dans une situation humaine. Comme nous commençons seulement à comprendre la richesse de nombreux langages animaux, la part d’interprétation nécessaire est actuellement plus grande que lorsque le langage humain est utilisé entre humains de manière standard. En évaluant la volonté de mourir des animaux non humains, les humains devraient, par conséquent, être au moins aussi prudents que dans les procédures d'euthanasie humaines.

Dans les procédures d'euthanasie humaine, de nombreux aspects sont pris en considération, concernant la santé physique et mentale du patient, son âge, ses perspectives médicales, les alternatives possibles, etc. Il n'y a pas de formule unique : les individus humains peuvent réagir différemment à la douleur, avoir des attitudes différentes envers la vie et répondre différemment aux traitements. Les patients et les médecins en discutent au cours de plusieurs réunions, au cours desquelles le patient humain est au centre de l'attention. Dans le cas des animaux non humains, c'est généralement un humain - le vétérinaire, le compagnon humain, ou les deux - qui décide de ce qui va se passer et pourquoi. Afin d'améliorer ces procédures, les humains doivent d'abord cesser de considérer un animal comme un objet pour le considérer comme un sujet, non seulement sur le plan individuel, mais aussi sur le plan juridique. L’avancement des connaissances scientifiques sur les capacités cognitives, émotionnelles et sociales des autres animaux peut permettre de développer davantage ces procédures inter-espèces. Les humains devraient aussi explorer des modes d’interaction différents avec les autres animaux, afin de rechercher activement quel est le point de vue des animaux non humains sur ces questions-là[44]. Outre le savoir médical des vétérinaires, la connaissance particulière que l’on peut avoir des animaux non humains, de leurs histoires et de leurs expressions, en tant que membres d'une espèce et en tant qu'individus singuliers, devraient jouer un rôle. La dimension temporelle de ces procédures doit être prise en compte: parvenir à une décision peut nécessiter de multiples rencontres. Différents humains proches du compagnon animal en question devraient être consultés, afin d'éviter les interprétations unilatérales.

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[41] Sue Donaldson, Will Kymlicka, Zoopolis. A political Theory of Animals Rights, Oxford University Press, 2011, p. 123/ Zoopolis. Une théorie politique des droits des animaux, Alma, 2016, trad. Pierre Madelin.
[42] Il est important de reconnaître que les humains vivent aussi dans des réseaux de relations et que l'euthanasie humaine implique une dépendance aux autres à un niveau très fondamental - quelqu'un vous aide à mourir.
[43] Meijer, op. cit.
[44] Ibid.