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La bonne vie, la bonne mort...4

 

Nombre de pratiques actuelles impliquent de graves souffrances animales, aussi invoquer la sentience des animaux non humains est-il suffisant pour les condamner fermement. Les droits sont des outils puissants pour créer un meilleur statut pour les animaux non humains, et il est important de lutter pour ces droits, car ils pourraient grandement améliorer la vie des milliards d'animaux non humains qui sont actuellement utilisés au profit des humains[34].  Cependant, il existe aussi des situations concernant la mort des animaux non humains dans lesquelles les droits ne sont pas suffisants, et où la prise en compte de leur agentivité est importante pour des raisons normatives et épistémiques. Cela nous amène à la question de l'euthanasie des animaux non humains. Dans certaines circonstances, la mort peut être la meilleure option pour les animaux non humains - tout comme pour les humains - et les humains peuvent aider d'autres animaux à mourir. Les autres animaux possèdent leurs propres perspectives sur la vie et leurs propres vécus, et il convient d'en tenir compte dans les procédures d'euthanasie. C’est nécessaire si l'on veut prendre les individus animaux au sérieux, en tant que sujets, et ne pas maintenir postulats et pratiques anthropocentriques. Dans la partie suivante, j'approfondis cette question en comparant l'euthanasie des animaux humains et non humains aux Pays-Bas.

 

Comparaison entre l'euthanasie humaine et celle des animaux non humains

Aux Pays-Bas, ainsi qu'en Belgique et au Luxembourg, l'euthanasie humaine est légale. Le terme "euthanasie" désigne une mort volontaire, soit indirectement, en mettant fin à une thérapie qui prolonge la vie, soit directement, en mettant activement fin à la vie d'une personne. Dans la seconde situation, il y a une différence entre le suicide assisté, dans lequel un médecin donne à un patient des médicaments pour mettre fin à sa vie (une pratique qui est aussi légale dans certains autres pays européens), et les cas où un médecin met fin à la vie d'une personne à sa place. Cette dernière pratique est souvent celle qui est désignée par le terme euthanasie, et je me concentrerai ici sur ces cas. La condition requise pour pratiquer une euthanasie est ondraaglijk en uitzichtloos lijden, que l’on peut traduire approximativement par "souffrance insupportable sans espoir de soulagement". Ce critère peut s'appliquer dans les cas de maladies physiques ou mentales. Il existe des procédures établies qui doivent être respectées : par exemple, les cas doivent toujours être évalués et approuvés par deux médecins, dont l'un n'a aucun lien préalable avec le patient, et il ne doit pas y avoir d'autre solution possible[35].

La pratique de l'euthanasie est acceptée par 92% des citoyens néerlandais[36]. La majorité des personnes qui choisissent l'euthanasie sont atteints d’un cancer en phase terminale et ces situations ne font l'objet d'aucun débat public. Il existe toutefois des cas qui sont contestés, tant par les médecins que par le grand public. Je me concentrerai ici sur deux d'entre eux, qui concernent la démence et les maladies mentales[37]. Habituellement, dans les cas de démence, les patients aux premiers stades de la maladie signent un euthanasieverklaring, une déclaration indiquant qu'ils souhaitent être euthanasiés lorsqu'ils atteindront un certain stade de la maladie. Le problème est que lorsqu'ils atteignent ce stade, ils ne peuvent plus exprimer clairement leur désir de mourir – ce qui est l'une des conditions préalables pour pouvoir procéder légalement à une euthanasie – et il arrive aussi qu'ils ne veuillent plus mourir. Dans le cas des maladies mentales, le processus est similaire à celui des maladies physiques, mais le problème ici est souvent qu’il est difficile de trouver deux médecins qui estiment tous les deux que la situation n'a aucune chance de s'améliorer. Dans le cas de la dépression, par exemple, le désir de mourir peut être considéré comme un symptôme de la maladie, et il arrive souvent que les médecins veulent que le patient essaie une nouvelle thérapie ou un nouveau médicament.

Choisir la mort peut paraître simple dans de nombreux cas, et les procédures qui entourent ce choix peuvent paraître claires. Toutefois, la réalité qui se cache derrière ces procédures est souvent assez compliquée. Dans les cas de maladies mentales et de démences, notamment, l'interprétation et la connaissance du contexte sont nécessaires. Afin d’évaluer si les critères pour l'euthanasie sont remplis, les médecins doivent connaître plus que le seul dossier médical du patient : ils doivent connaître son histoire, comprendre ses modes d'expression, comparer les interprétations de ses souhaits et de ses comportements avec ceux de ses proches qui le connaissent bien, etc. Ces aspects sont également importants dans la réflexion sur l'euthanasie des animaux non humains.

L'euthanasie des animaux non humains est une pratique répandue et généralement admise, qu'il s'agisse d’animaux compagnons vivant dans des foyers ou dans des refuges[38], d’animaux de ferme, d’animaux dans les laboratoires ou d’animaux errants. Dans le cas des animaux non humains, le mot "euthanasie" est souvent utilisé comme un euphémisme pour tuer[39]. Il peut désigner, par exemple, la mise à mort d'animaux de laboratoire que l'on a fait souffrir aux profits des humains dès lors qu’ils sont considérés comme n’ayant plus d’utilité, au lieu de leur donner la possibilité d'être adoptés ou de vivre le reste de leur vie d'une autre manière. Il peut aussi désigner la mise à mort d'animaux compagnons parce que les humains ne peuvent pas assurer les coûts, financiers ou émotionnels, de soins médicaux continus. Si la mort peut épargner à certains de ces animaux non humains des souffrances supplémentaires, pour d’autres il existe d'autres options, susceptibles de prolonger et d’améliorer leur vie. Réfléchir à l'euthanasie des animaux non humains, signifie d'abord clarifier ce concept, et ne pas l'utiliser simplement pour toutes les situations dans lesquelles les humains cherchent à éliminer la souffrance des animaux non humains en les tuant[40].

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[34] Les défenseurs des animaux, militants et philosophes, devraient aussi examiner de quelles façons les droits, parce qu’ils sont souvent modelés sur l’humain, seraient susceptibles de perpétuer l'anthropocentrisme ou de remettre en question les mécanismes sous-jacents de l’exclusion.
[35] Il y a six critères qui doivent être respectées pour que la procédure soit légale. 1. Le médecin doit être convaincu que la demande d'euthanasie était volontaire et informée. 2. La souffrance du patient est insupportable et sans perspective d’amélioration. 3. Le médecin a informé la patiente de sa situation et de ses perspectives. 4. Le médecin et la patiente sont arrivés à la conclusion qu'il n'y a pas d'autre solution possible. 5. Le médecin a consulté au moins un autre médecin, qui a également vu le patient et n'avait aucune relation préalable avec elle. Ce deuxième médecin fournit une déclaration écrite, basée sur les critères de diligence. 6. L'euthanasie est pratiquée conformément aux directives médicales.

[36] “Overgrote meerderheid bevolking voorstander van recht op euthanasie”, A.N.P., Trouw, 4 novembre 1998.
https://www.trouw.nl/nieuws/overgrote-meerderheid-bevolking-voorstander-van-recht-op-euthanasie~b681b444/
[37] Il existe d'autres exemples, comme celui de personnes très âgées qui ont le sentiment d'avoir vécu une vie bien remplie et ne souhaitent pas la poursuivre, mais le problème n'est pas tant l'interprétation que l'acceptation des raisons pour lesquelles une personne souhaite mettre fin à sa vie. Un autre exemple concerne les enfants. Les enfants de plus de 12 ans peuvent choisir l'euthanasie, s'ils peuvent montrer qu'ils comprennent ce que cela implique et exprimer leur souhait de manière cohérente (les médecins mentionnent souvent que les enfants sont plus sages que leur âge). Si ce groupe fait l'objet de controverse, le phénomène est heureusement rare.
[38] Pour une analyse de la mise à mort des animaux non humains dans les refuges, voir Palmer.
[39] Voir aussi Pierce, op. cit., p. 476.
[40] Daniele Lorenzini, “Domestication and Moral Responsibility“, Animals and Death Conference, 27 September 2016, Leeds.