Résumé
Dans cet article, je propose plusieurs récits pour répondre aux
considérations de la philosophe Vinciane Despret et de la sociologue Jocelyne
Porcher sur les vaches « laitières » et le travail. Certains
concernent les vaches du troupeau près duquel j'ai vécu pendant presque 30 ans
- une sorte d'approche ethnographique, d'autres, ainsi que quelques faits
relatés, concernent l'industrie laitière en Australie. Ces récits sont éclairés
par une autre histoire, racontée par la philosophe et écrivaine féministe Hélène
Cixous. Des lignes de faille traversent ces récits sur les bovins. Trois œuvres
de l’artiste visuelle Yvette Watt racontent encore autre chose sur les vies et
les morts des vaches. Un de mes intérêts sous-jacents réside dans la
potentialité d’une narration à bousculer et dévoiler les secrets culturels de
la violence systémique, secrets qui sont « nés du désir de celui qui
propose une narration du secret ».
Cet essai répond en partie
à une question posée par un éminent philosophe, spécialiste de l’éthique
animale, à la recherche d’éléments permettant de déterminer si « une vache
a un intérêt à continuer à vivre ». Pour commencer à répondre à cette
question, je propose trois récits. Ils comportent ma réponse aux considérations
de Vinciane Despret sur le travail animal – en particulier sur les points qui découlent
des recherches de la sociologue Jocelyne Porcher sur les vaches
« laitières », quelques histoires à propos des vaches près desquelles
je vis, et quelques faits et histoires concernant l’industrie laitière en
Australie. Ma juxtaposition de ces trois récits différents est éclairée par une
autre histoire, racontée par la philosophe et écrivaine Hélène Cixous. Enfin, trois
œuvres de l’artiste Yvette Watt disent d’autres choses encore sur la vie des
vaches. L’un des intérêts sous-jacents réside dans
la possibilité que la narration – textuelle et visuelle – cache et/ou révèle les secrets culturels de la violence systémique, secrets qui nous conduisent à une
question qu’il nous faut prendre au sérieux (incroyable, n’est-ce pas ?) :
une vache veut-elle continuer à vivre ?
Porcher reconnaît que dans le
monde foncièrement humain qu’est l’élevage industriel, les animaux sont
totalement privés de « rapport avec leur propre monde » et que, de ce
fait, « les conditions de vie des animaux et leurs conduites apparaissent avec acuité comme inscrites dans un rapport de travail[2] ». Elle poursuit en suggérant que « les animaux
d’élevage en sont d’une certaine manière les "ouvriers" obscurs, un
sous-prolétariat ultra-flexible, corvéable et destructible à merci[3] ».
[2] Jocelyne Porcher, Tiphaine
Schmitt, “Dairy Cows: Workers in the Shadows”’ Society & Animals, vol. 20,
2012, pp.39-60. Cet article n’existe pas en français mais on
trouve ce passage dans “Les vaches collaborent-elles au travail”, revue du
Mauss, 2010 (NdT) https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2010-1-page-235.htm#)»
[3]Ibid., p. 42/ Les vaches…p. 240
Melissa
Boyde est chercheuse dans les domaines de l’art et de la littérature
modernistes, ainsi que dans le champ interdisciplinaire
des études animales. Elle est la fondatrice et la rédactrice en chef de la revue numérique australienne Animal Studies Journal.
Avec Fiona Probyn-Rapsey et Yvette Watt, elle co-dirige la collection Animal Publics de la Sydney University Press.