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« Pratiquer l’art de la guerre » Les vaches dans l'exploitation laitière


par Melissa Boyde

 


 

 

Résumé

Dans cet article, je propose plusieurs récits pour répondre aux considérations de la philosophe Vinciane Despret et de la sociologue Jocelyne Porcher sur les vaches « laitières » et le travail. Certains concernent les vaches du troupeau près duquel j'ai vécu pendant presque 30 ans - une sorte d'approche ethnographique, d'autres, ainsi que quelques faits relatés, concernent l'industrie laitière en Australie. Ces récits sont éclairés par une autre histoire, racontée par la philosophe et écrivaine féministe Hélène Cixous. Des lignes de faille traversent ces récits sur les bovins. Trois œuvres de l’artiste visuelle Yvette Watt racontent encore autre chose sur les vies et les morts des vaches. Un de mes intérêts sous-jacents réside dans la potentialité d’une narration à bousculer et dévoiler les secrets culturels de la violence systémique, secrets qui sont « nés du désir de celui qui propose une narration du secret[1] ».

 

Cet essai répond en partie à une question posée par un éminent philosophe, spécialiste de l’éthique animale, à la recherche d’éléments permettant de déterminer si « une vache a un intérêt à continuer à vivre ». Pour commencer à répondre à cette question, je propose trois récits. Ils comportent ma réponse aux considérations de Vinciane Despret sur le travail animal – en particulier sur les points qui découlent des recherches de la sociologue Jocelyne Porcher sur les vaches « laitières », quelques histoires à propos des vaches près desquelles je vis, et quelques faits et histoires concernant l’industrie laitière en Australie. Ma juxtaposition de ces trois récits différents est éclairée par une autre histoire, racontée par la philosophe et écrivaine Hélène Cixous. Enfin, trois œuvres de l’artiste Yvette Watt disent d’autres choses encore sur la vie des vaches. L’un  des intérêts  sous-jacents  réside  dans la possibilité que la narration – textuelle et visuelle – cache et/ou révèle les secrets culturels de la violence systémique, secrets qui nous conduisent à une question qu’il nous faut prendre au sérieux (incroyable, n’est-ce pas ?) : une vache veut-elle continuer à vivre ?
 
Porcher reconnaît que dans le monde foncièrement humain qu’est l’élevage industriel, les animaux sont totalement privés de « rapport avec leur propre monde » et que, de ce fait, « les conditions de vie des animaux et leurs conduites apparaissent  avec  acuité  comme  inscrites  dans  un  rapport de travail[2] ». Elle poursuit en suggérant que « les animaux d’élevage en sont d’une certaine manière les "ouvriers" obscurs, un sous-prolétariat ultra-flexible, corvéable et destructible à merci[3] ».
 
 
 
 


¤ Texte original : "The Dairy Issue : Practicing the Art of War ", paru dans le vol.7 n°2 (2018),  du Animal Studies Journal. Traduction par Marceline Pauly, avec l'autorisation de l'auteure, pour le site animal-sujet
[1] Voir Lynda Hart, Fatal women: Lesbian Sexuality and the Mark of Aggression, Princeton University Press, 1994, [ma trad.].
[2] Jocelyne Porcher, Tiphaine Schmitt, “Dairy Cows: Workers in the Shadows”’ Society & Animals, vol. 20, 2012, pp.39-60. Cet article n’existe pas en français mais on trouve ce passage dans “Les vaches collaborent-elles au travail”, revue du Mauss, 2010 (NdT) https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2010-1-page-235.htm#)» 
[3]Ibid., p. 42/ Les vaches…p. 240 
 

Melissa Boyde est chercheuse dans les domaines de l’art et de la littérature modernistes,  ainsi que dans le champ interdisciplinaire des études animales.
Elle est la fondatrice et la rédactrice en chef de la revue numérique australienne Animal Studies Journal
 
Avec Fiona Probyn-Rapsey et Yvette Watt, elle co-dirige la collection Animal Publics de la Sydney University Press.