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Communication politique avec les animaux...5


accueillera les chiens inconnus autrement qu’il ne le fera pour les chiens amis, et réservera encore un autre accueil à un chat du voisinage.
Nous appelons « salutations» les situations dans lesquelles les humains saluent des animaux ; nous appelons aussi «salutations » les situations dans lesquelles un animal salue un humain. Les façons qu’ont les animaux de saluer les humains peuvent ressembler aux façons qu’ont les humains de saluer les autres animaux, mais elles peuvent aussi être différentes. Toutefois, il n’existe pas de caractéristique que tous les jeux de langage humains que nous appelons salutations partageraient et dont seraient dépourvus tous les jeux de langage entre humains et animaux.

Nous pouvons de la même façon examiner les conversations, un groupe de jeux de langage habituellement considérés comme l’apanage des humains. Dans les relations entre humains, certains jeux de langage peuvent être vus comme des conversations. Il en est de même dans la relation humains-animaux. Ces conversations peuvent ne pas être exactement les mêmes que les conversations humaines, mais elles peuvent être similaires. Dans le contexte humain, nous avons différents types de conversations avec les autres. Les humains ont de brèves conversations avec leurs voisins au sujet du temps qu’il fait, ils racontent des histoires à leurs amis auxquelles les amis réagissent, ils utilisent la conversation pour expliquer comment une chose est arrivée, pour consoler quelqu’un, pour acquérir de nouvelles connaissances et pour de nombreuses autres raisons. Les conversations humanimales prennent aussi des formes diverses. Les humains peuvent dire à leurs compagnons animaux où ils vont et les animaux répondent, les animaux peuvent apprendre aux humains comment ils voudraient qu’ils se comportent dans la maison ou dans un parc, et ainsi de suite. Dans ces conversations, les oppositions entre humain/non humain, intentionnel/non intentionnel et parler/agir ne sont pas déterminantes. Une conversation entre un humain et son médecin généraliste ressemblera plus à une conversation entre un chien et son vétérinaire qu’à une conversation entre deux généralistes qui discutent de ce qu’ils ont mangé la veille au soir. Lorsqu’un humain se rend chez un médecin généraliste, il peut vouloir amener avec lui quelqu’un qu’il connaît bien, pour le soutenir ou pour l’aider durant l’entretien ; de même, un humain qui accompagne un chien chez le vétérinaire peut participer à la conversation qui se déroule entre eux.

Les conversations qu’a Irene Pepperberg avec son perroquet gris du Gabon Alex25 sont une bonne illustration des conversations humanimales. Les perroquets parlent ; ils peuvent prononcer des mots humains et les utiliser en interaction avec les humains, mais on croit souvent que les perroquets ne font que répéter des mots (le mot « perroquet » est utilisé de manière péjorative pour désigner un humain qui répète sottement les choses). Répéter des mots est une forme de contact, un jeu de langage, mais ce n’est pas une conversation. Alex et Pepperberg montrent qu’un langage commun entre perroquets et humains est possible, si les deux parties sont désireuses d’apprendre à se comprendre l’une l’autre. L’éthologue et philosophe Vinciane Despret appelle Pepperberg la psychologue qui a réussi à faire parler les perroquets.

Même si les perroquets utilisent des mots humains depuis longtemps, la communication avec les humains s’est limitée à l’utilisation de quelques mots simples ; perroquets et humains ont des idées différentes sur le langage, aussi leur est-il difficile d’avoir de véritables conversations. Pour les perroquets (et les oiseaux en général), apprendre un langage est fortement lié à l’agir25. Pour rendre possible la conversation avec Alex, Pepperberg lui a donné le contrôle sur ses récompenses : s’il reconnaissait les objets il pouvait soit les avoir, soit choisir une autre récompense (par exemple quelque chose à manger ou sortir faire une promenade). De cette façon, il n’apprenait pas seulement à reconnaître et à décrire des objets, il apprenait également à utiliser des notions comme « même » ou « différent », et des mots pour contrôler le comportement des autres, tels que « vient ici », « va-t’en » et « Je veux aller là ». Dans l’apprentissage de ces mots et de ces concepts, les malentendus tenaient un rôle important. Au lieu d’essayer de les éviter, Pepperberg les utilisait comme moyen de créer du sens entre les chercheurs et le perroquet. Si Alex faisait un son par hasard, essayer de découvrir ce qu’il signifiait pouvaient aider à comprendre d’autres sons.

Despret dit du travail de Pepperberg qu’il permet à l’animal – qu’il le rend capable, de parler. Donna Haraway fait valoir que ce « rendre capable » est réciproque.

Le résultat est que ce perroquet et cette femme ont inventé une conversation prolongée qui a rendu perplexes des linguistes professionnels plus qu’ils ne l’auraient voulu. Une femme et un perroquet spécifiques se sont longuement parlés en utilisant ce qui n’était la langue maternelle ni de l’un, ni de l’autre. Ces espèces compagnes se sont rendues l’une l’autre capables de connaissances et de capacités situées, que cela ait été, ou pas, dans leur nature avant qu’elles n’aient appris à se connaître27.






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25. Irene Pepperberg, « Grey Parrot Inteligence », Procedings of the International Aviculturists Society, January 1995. Bien qu’il y ait entre les deux de vraies  conversations et qu’elles soient autant du fait  d’Alex que de Pepperberg, ce genre de recherches (dans lesquelles les animaux vivent en captivité) pose des problèmes moraux et politiques. Poursuivre dans cette voie nécessiterait le développement de nouvelles modalités de recherche.
26. Vinciane Despret « The Becomings of Subjectivity in Animal Worlds, Subjectivity 23, p. 125. « Le langage doit être appris/enseigné dans sa fonction pragmatique : c’est un moyen efficace d’agir et de faire agir les autres.» [ma traduction].
27. Sandra Azeredo, « Multispecies Companions in Naturecultures: Donna Haraway and Sandra Azeredo in Conversation. » Pensar/Escrever o Animal — Ensaios de Zoopoética e Biopolítica. p. 17 [ma traduction].