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Communication politique avec les animaux...6

 
Haraway attire l’attention  non seulement sur la réciprocité et le caractère situé de ce langage, mais aussi sur le fait que le langage parlé par ces êtres « n’est la langue maternelle ni de l’un ni de l’autre»28;  il est nouveau. Les mots employés prenaient du sens dans la conversation, dans l’espace entre l’humain et le perroquet.

La conversation entre Pepperberg et Alex est un bon exemple de conversation car le perroquet et l’humain utilisent tous deux des mots humains. Ce n’est pas toujours, ni même souvent, le cas dans les conversations humanimales, et cela n’est pas nécessaire pour avoir une conversation. Un langage commun consiste en ce qui est rendu possible par un effort mutuel, et non par le fait qu’une partie imposerait un langage à l’autre. La communication humanimale ressemble parfois au langage utilisé par les humains, mais dans la communication entre humains et animaux  les mots, les sons, les gestes, le langage corporel et le degré de contact visuel peuvent tous être importants.

On peut trouver un autre exemple de communication humanimale qui ressemble à une conversation entre humains dans un récent article de presse au sujet d’un chimpanzé au Welsh Mountain Zoo qui, utilisant le langage des signes, demandait aux visiteurs de l’aider à se  libérer. Un visiteur du zoo a fait une vidéo dans laquelle on voit le chimpanzé demander aux visiteurs de déverrouiller une porte et d’ouvrir la fenêtre afin qu’il puisse quitter sa cage. Le chimpanzé exprimait sa requête aux visiteurs par des signes qui ressemblaient à la langue des signes humaine, et sa demande fut aussitôt comprise par les visiteurs qui le regardaient et qui lui répondirent en faisant des signes, auxquels le chimpanzé répondit. Peter Dickinson, un employé du Welsh Mountain Zoo, avait déjà observé des chimpanzés au zoo essayer de communiquer avec les visiteurs : « J’ai regardé nos animaux faire des signes aux visiteurs, leur demandant de faire quelque chose. Qui plus est, les visiteurs réagissaient et faisaient exactement ce qu’on leur demandait. Si un membre du personnel en fait le reproche à un visiteur, la réponse est toujours « Mais le chimpanzé m’a demandé de le faire ! »  Bien que dans cet exemple, le chimpanzé n’ait pas utilisé de mots humains et que la communication soit moins complexe qu’entre Alex et Pepperberg, cette interaction ressemble à une simple conversation entre humains utilisant le langage des signes.  Dans cette conversation politique, le chimpanzé et les humains se comprennent immédiatement les uns les autres.

Redéfinir les concepts. Jusque-là, j’ai fait valoir que considérer le langage comme une collection de jeux de langage fournit un bon point de départ pour réfléchir sur le langage et la communication humain-animal. Examiner les jeux de langage nous dit aussi quelque chose sur le langage dans un sens plus général. Les humains ont défini le langage dans un sens étroit, comme étant exclusivement  humain29. Cependant, l’examen des jeux de langage humain-animal existants révèle que bien que la communication et l’utilisation du langage entre humains et animaux ne soient pas les mêmes que la communication entre humains, il y a des similitudes. (Et bien que tous les jeux de langage ne s’appliquent pas à tous les animaux non-humains, beaucoup ne s’appliquent pas non plus à tous les humains.) En outre, il semble impossible de distinguer précisément ce qui est du langage de ce qui ne l’est pas, ou de trouver un principe qui s’applique à tous les actes considérés comme du langage. Le langage des signes entre humains est semblable au langage des signes entre humains et primates non humains, les chiens peuvent apprendre les noms des humains30 et vice versa, beaucoup d’espèces animales chantent, saluent, discutent, plaisantent. Le contenu de ces différents jeux de langage qui se chevauchent n’est pas fixe : lorsque des individus de différentes espèces interagissent, de nouveaux jeux de langage peuvent naître31. Par conséquent, il est non seulement difficile mais impossible de déterminer les limites exactes du langage, et il semble pareillement impossible d’en exclure les autres animaux. 

Toutefois, pour comprendre et développer davantage les langages entre humains et animaux, il ne suffit pas d’étudier les interactions humanimales et de voir si les actes ressemblent ou pas aux jeux de langage humains. Nous devons aussi reconsidérer la portée et la signification des concepts que nous utilisons, car ils sont souvent définis dans un sens trop étroit, qui peut obscurcir notre interprétation des situations. Bien que nous ayons besoin de réfléchir à de nouveaux concepts qui incluent les actes des animaux et sont développés en coopération avec eux, les concepts existants peuvent offrir un cadre de référence ou faire office de passerelle entre des points de vue.

Tant le concept de ressemblance familiale de Wittgenstein que sa position sur le caractère public du langage peuvent se révéler utiles dans le cadre de cette recherche. Wittgenstein a écrit que les chiens ne peuvent pas espérer32. C’est parce qu’il suppose que leur notion du temps, et par conséquent leur vision du futur, est limitée. Questions empiriques mises à part, cela semble problématique eu égard au caractère public du langage et à l’accent mis sur l’étroite relation entre l’utilisation et la signification des mots. Dans son analyse de l’anthropocentrisme,  Raimond  Gaita  fait  référence  au




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28. Ibid.
29. Et, en les appelant « animaux »,  les humains ont utilisé le langage pour établir une distinction entre tous les humains et tous les autres animaux, ce qui a occulté à la fois les similitudes entre humains et animaux, et les différences entre les autres animaux (espèces et individus) (voir Derrida, L’animal que donc je suis).
30. Lorsque Wittgenstein écrit: « Un chien pourrait apprendre à courir vers N à l’appel " N " et M à l’appel " M ", mais saurait-il pour cela comment ces gens s’appellent ? » (De la certitude §540, p. 127) il semble suggérer que la réponse est non ; même si nous pouvons apprendre à un chien le nom d’un humain, le chien ne saura pas que c’est ainsi que l’humain s’appelle car les chiens ne peuvent pas saisir ce qu’est un nom. Mais si M et N sont des gens qui jouent un rôle dans la vie de ce chien, le chien saura comment ils s’appellent. Pour les chiens de même que pour les humains, ce sont des jeux de langage différents.
31. Voir Donna Haraway, et aussi Vicky Hearne, Adam’s Task: Calling Animals by Name.
32. RP, p. 247.