caractère
public du langage dans les communautés humanimales. Il donne l’exemple des
« intentions »33 et soutient que nous n’élaborons pas
d’abord le concept d’intention en relation avec le comportement humain,
pour l’appliquer ensuite aux animaux, mais que nous apprenons à utiliser
ces notions en réponse à la fois aux humains et aux animaux. Ainsi, une
remarque au sujet des intentions d’un chat ou d’un chien ne sera pas
anthropomorphique puisque les intentions des animaux font partie de ce qui
donne une signification au mot « intention » (et non parce qu’elle
décrit correctement ou incorrectement les états mentaux de ce chat ou ce
chien). De la même façon, les humains qui grandissent dans une communauté
composée d’humains et d’autres animaux peuvent apprendre ce que signifie
« espoir » non seulement en apprenant ce mot appliqué aux
humains, mais de diverses manières, y compris en voyant des animaux pleins
d’espoir ou en lisant des histoires d’espérance animale dans des livres pour
enfants. Le mot « espoir » peut ne pas signifier la même chose pour
tous, à tout moment : il signifiera des choses différentes dans des
situations différentes – dans différents jeux de langage liés par le mot
« espoir ». Les autres animaux ne sont pas les bénéficiaires passifs
des mots, mais jouent un rôle dans la forme que ceux-ci acquièrent, par
leur comportement et l’interaction avec les humains.
D’un côté, les concepts
sont formés par les humains et les animaux mais, de l’autre, un mot tel que
« espoir » peut relier une multitude d’actes qui se ressemblent mais
ont des formes différentes. En décrivant les parentés qui existent entre
différents jeux et, partant de là, entre différents jeux de langage,
Wittgenstein introduit la notion de ressemblance familiale. Il observe que nous
trouvons dans différents jeux des similitudes qui se chevauchent (à la façon dont les membres d’une famille partagent
des caractéristiques), mais que nous ne pouvons pas trouver un trait commun qui
s’applique à tous34. Cette façon de relier différents actes35 peut
nous aider à comprendre comment élargir des concepts pour y inclure les
animaux, en s’appuyant sur la ressemblance et les relations entre les
actes des animaux et les actes des humains. Cela peut aussi nous donner une
orientation pour une réflexion plus poussée sur les actes politiques des
animaux. Si par exemple nous réfléchissons aux actes de protestation, nous
pouvons, dans le cas des humains, penser à toutes sortes d’actes
différents. Si ensuite nous pensons à des actes de protestation d’animaux, nous
pouvons (en l’absence d’une caractéristique commune ou d’une définition
générale) rechercher des similitudes et des différences – ce qui ne nous donne
ni un schéma, ni un guide complet d’interprétation de tous les actes des animaux,
mais une direction36. Considérer les actes des animaux comme des
actes politiques peut nécessiter des ajustements dans les concepts que nous
utilisons, et bien que des concepts existants puissent proposer une ligne
directrice, nous devons aussi, pour progresser dans la compréhension des autres
animaux, être disposés à en inventer de nouveaux.
III Communication
politique. Donaldson et Kymlicka font valoir que nous devrions
étendre aux animaux des notions comme la citoyenneté et la souveraineté. Cela
implique à la fois un Gestalt-switch – nous devons voir les autres
animaux différemment, comme des acteurs politiques – et une extension des
institutions et concepts politiques humains. Dans la première partie j’ai
soutenu que bien que Donaldson et Kymlicka abordent la communication humanimale
et la représentation politique dans le cas des animaux domestiques,
lesquels devraient pouvoir s’exprimer à travers les relations avec les humains,
il semble qu’il leur manque une théorie de la communication politique. C’est
problématique en ce qui concerne les animaux domestiques qui ne peuvent ou ne
veulent pas avoir de relations proches avec les humains, ou les animaux
sauvages et liminaux avec lesquels, aussi, les humains communiquent
souvent (ou ont besoin de faire).
En me fondant sur la
conception des animaux comme acteurs politiques de Donaldson et Kymlicka et sur
l’idée de langage comme une collection de jeux de langage de Wittgenstein,
je vais maintenant présenter deux manières d’approfondir les concepts de
voix politique des animaux et de communication humanimale, en interaction avec,
et entre, les communautés humaines et animales. Tout d’abord, j’examine l’idée
de conversations politiques entre humains et animaux. Ensuite, je présente le
profil de l’interprète, animal humain ou non humain, parlant différents
langages et étant par conséquent susceptible de faciliter la communication
politique entre les groupes et individus qui ne partagent pas le même langage.
Conversations politiques. Dans un sens, toutes les
conversations dans lesquelles les animaux sont pris au sérieux en tant
qu’interlocuteurs sont politiques, parce qu’elles contestent l’image
stéréotypée des animaux non humains muets et nous montrent de nouvelles façons
de penser la communication et plus généralement, de vivre avec d’autres
animaux. Une bonne illustration de ce type d’interaction est la communication
entre Haraway et sa compagne la chienne Cayenne Pepper. Dans les descriptions
que donne Haraway de leur entraînement d’agility, nous pouvons voir comment
deux sujets appartenant à des espèces différentes communiquent
________________
33.
Raimond. Gaita The Philosopher's Dog, p.60.
34. « Je ne saurais mieux caractériser ces ressemblances
que par l’expression d’ “air de famille“ ; car c’est de cette
façon-là que les différentes ressemblances existant entre les membres d’une
même famille (taille, traits du visage, couleur des yeux, démarche,
tempérament, etc.) se chevauchent et s’entrecroisent. – Je dirais donc que les
“jeux“ forment une famille.» (RP, § 67, p.64)
35.
Rien n’est jamais exactement
identique à quelque chose d’autre, les choses (actes, humains, animaux,
concepts) se ressemblent et les humains utilisent cette ressemblance pour
relier et catégoriser, mais ces catégories sont toujours contingentes.
36. Wittgenstein soutient
que les concepts ainsi apparentés n’ont pas de limites ; par exemple, nous ne
pouvons pas circonscrire le concept “jeu“ (RP § 68, p. 65).