compréhensible pour toutes les parties concernées ; dans d’autres cas, une interprétation et/ou traduction sera nécessaire.
Ceci est lié à des questions qui concernent la traduction de
l’agentivité politique des animaux, des voix des animaux, et des interactions
humanimales dans les institutions politiques. Dans la théorie de Donaldson et
Kymlicka, l’accent est mis sur l’extension des institutions et concepts des
démocraties libérales humaines afin d’y inclure les autres animaux. Bien que
leur objectif soit de fournir un contexte théorique et qu’ils ne traitent pas d'institutions
et de formes de représentation spécifiques en détail, dans le modèle qu’ils
esquissent les humains décident quelles institutions sont justes et comment les
animaux devraient être représentés. Les institutions et concepts existants
peuvent offrir une base de départ pour penser un
nouveau modèle politique, mais pour pouvoir répondre à la multitude de façons
dont les animaux exercent leur agentivité politique, il semble également
nécessaire de réfléchir à de nouvelles formes de représentation et à de
nouvelles institutions. Cela ne signifie pas seulement que les humains doivent
développer de nouvelles formes d’interaction dans lesquelles les animaux
coopèrent : cela signifie que les animaux devraient prendre part à la
détermination des formes et contenus de ces interactions. Les interactions
existantes peuvent fournir un point de départ et fonctionner comme une base
pour la formation de nouvelles institutions juridiques et politiques
humanimales.
Par conséquent, dans ce qui suit, je vais explorer les possibilités de
langages et de communication partagés entre humains et animaux. Pour ce faire
je vais étendre l’idée de Wittgenstein sur le langage, et en particulier sa
notion de jeux de langage, à la communication humanimale, basée sur des
interactions existantes. Réfléchir au langage comme à une collection de jeux de
langage est un point de départ approprié. C’est une notion souple qui ne fait
pas de distinction entre différents types d’actes linguistiques. Ceci est
nécessaire à la réflexion sur les animaux et le langage parce que les
humains et les autres animaux ont des types de relations et de rencontres très
variés et que les animaux s’expriment de façons très diverses. En outre,
les idées de Wittgenstein sur la manière dont les jeux de langage sont
apparentés peuvent mettre en relief les similitudes et les relations dans les
langages humains-animaux. Utiliser l’idée de jeux de langage comme une base
pour le langage humanimal fonctionne de deux manières. D’un côté, cela peut
clarifier ou expliquer les interactions humain-animal liées à des concepts déjà
existants. De l’autre, cela peut jeter les fondements de nouvelles
(interprétations des) rencontres (linguistiques).
II. Jeux de langages et conversations. Dans Recherches
philosophiques21, Wittgenstein soutient que nous ne pouvons pas
donner une définition unique du langage : il y a de nombreuses façons
différentes d’utiliser le langage qui sont liées sans pour autant avoir de
caractéristique commune, aussi n’existe-t-il pas une seule façon de les décrire22.
Au lieu d’essayer de trouver une définition nous devrions décrire et
examiner ces différentes utilisations du langage qu’il appelle jeux de
langage. Wittgenstein ne définit pas clairement les jeux de langage. Il utilise
ce concept pour se référer aux formes de langage les plus primitives, ainsi
qu’à l’ensemble de notre langage naturel constitué d’une collection de jeux de
langage, mais aussi pour se référer à des exemples simples d’usage du langage.
Les jeux de langage sont illimités, il y a toujours la possibilité d’en créer
de nouveaux et il existe de nombreux jeux de langage que nous ne reconnaissons
même pas comme tels23. Pour saisir ce qu’est le langage, nous
devrions étudier les jeux de langage en examinant les pratiques dans lesquelles
ils se produisent.
Certains jeux de langage se produisent seulement entre humains, mais il
y a aussi des jeux de langages qui ont lieu entre les humains et d’autres
animaux. Cela devient évident si nous examinons les jeux de langage que nous
appelons « salutations ». Les gens se saluent de différentes façons :
nous pouvons par exemple dire bonjour, faire un signe de la main, faire un
signe de tête, ou écrire bonjour dans un mail ou un sms. Nous saluons les
inconnus dans la rue autrement que nous ne saluons la famille, les
voisins ou les amoureux. Cela inclut le ton de notre voix, les gestes, les
expressions faciales, et ainsi de suite24. Les humains saluent aussi
les animaux et les animaux saluent les humains. Certaines formes de salutations
peuvent ne s’appliquer qu’aux humains, par exemple, lorsqu’elles impliquent des
ordinateurs (bien que certains animaux non humains puissent évidemment
apprendre à les utiliser) ; d’autres s’appliquent aux humains et aux
animaux. Les humains et les animaux peuvent dire bonjour, marcher l’un
vers l’autre, se toucher ou maintenir une distance, regarder l’autre dans les
yeux ou éviter le contact visuel. La façon dont humains et animaux se
saluent les uns les autres dépendra des animaux concernés et du contexte. Les
salutations rituelles évoluent. Si un humain rencontre un chien qu’il connaît
bien, il le saluera différemment que s’il rencontre ce chien pour la première
fois. Il en est de même pour le chien ; il saluera un humain qu’il connaît
bien en marchant ou en courant vers lui, en remuant la queue, en tournant en
rond. De manière générale, lorsque l’humain est un étranger, le chien se
dirigera aussi vers lui pour faire connaissance, mais les mouvements corporels, les sons et expressions faciales seront différents. De
même, le chien
_________________________
21. Ci-après abrégé
en « RP ».
22. RP, p.63. « Au lieu d’indiquer un trait commun à
toutes les choses que nous appelons langage, je dis que ces phénomènes n’ont
rien de commun qui justifie que nous employons le même mot pour tous, mais
qu’ils sont tous apparentés
les uns aux autres de bien des façons différentes. Et c’est en raison de cette
parenté, ou de ces parentés, que nous les appelons tous
« langage ».
23. RP, p. 314. « Nous
n’avons pas conscience de l’indicible disparité existant entre les jeux de
langage quotidiens, parce que les vêtements de notre langage uniformisent
tout ».
24. Selon Wittgenstein,
les actes linguistiques ne sont pas nécessairement plus complexes ou d’un
niveau plus élevé que les actes non linguistiques. Dans les jugements
esthétiques, que Wittgenstein estime complexes, les gestes que quelqu’un fait
sont souvent plus importants que les mots prononcés.