Je peux être d’accord avec Despret lorsqu’elle écrit : « quand tout fonctionne bien l’implication que requiert le fait que tout fonctionne bien est invisibilisée », mais je ne suis pas convaincue du tout par les hypothèses qu’elle formule dans la question suivante, ni par sa réponse:
Qu’est-ce que change, pour les vaches, que soit rendu visible cet investissement actif dans le travailler ensemble ? Penser qu’éleveurs et vaches partagent des conditions de travail – et on pourrait, à la suite de Donna Haraway, étendre cette proposition aux animaux de laboratoire – déplace la manière dont on ouvre et ferme généralement la question. Cela oblige à penser les bêtes et les gens comme connectés ensemble dans l’expérience qu’ils sont en train de vivre et dans laquelle ils constituent, ensemble, leurs identités…Si les animaux ne coopèrent pas, le travail est impossible. Il n’y a donc pas des animaux qui « réagissent » ; ils ne réagissent que si on ne peut voir autre chose qu’un fonctionnement. En opérant ce déplacement, l’animal n’est plus à proprement parler une victime[11].
Yvette Watt, Domestic Animals (scholarly explanation), 2008, impression giclée et encre sur papier, 80 x 130cm. Avec l’aimable autorisation de l’artiste |
Je me tourne vers la littérature et l’autobiographie pour examiner les commentaires de Despret et Haraway sur « les bêtes et les gens comme connectés ensemble dans l’expérience qu’ils sont en train de vivre et dans laquelle ils constituent, ensemble, leurs identités » - incluant éventuellement les animaux de laboratoire – et sur les humains et les animaux « travaillant ensemble » dans le contexte précis « de vie et de mort » comme étant « l’expression juste » pour décrire le comportement d’animaux tels que les vaches dans les exploitations laitières. Reconnaissant le problème qu’il y aurait à proposer une lecture équivalente pour évaluer les affirmations formulées, puisque les valeurs de fiabilité et de « vérité » des différents genres d’écrits ne sont pas équivalentes, je me réfère au philosophe Brett Buchanan, qui note que Despret considère :
l’association des points de vue artistiques et scientifique non seulement totalement appropriée mais totalement nécessaire. La création d’histoires ne s’apparente pas à la fictionnalisation des mondes animaux. Elle consiste davantage à restituer une part de la singularité qui réside dans les vies subjectives qui nous surprend toujours. Despret décrit cela comme le « réenchantement » de nos mondes partagés, mondes – ou, pourrait-on dire « pluriversions » - qui ont été de plus en plus réduits à des données informatives et à des machines animales, au cours des deux derniers siècles[12].
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[11] Despret, Que diraient…, T comme travail, p. 219.
[12] Brett Buchanan, “The Metamorphoses of Vinciane Despret”, Angelaki: Journal of the Theoretical Humanities, vol 20 no 2, 2015, pp. 17-32 [ma trad.].