humain qui a joué un rôle en montrant à la société humaine les animaux sous un jour différent. Outre les éthologistes et biologistes, on peut penser aussi à des artistes, des écrivains, des politiciens et des philosophes.
L’interprétation
soulève de nombreuses questions (factuelles et morales) ; les interprètes ont-ils
vu juste ? – et existe-il un « juste » immuable dès lors qu’agir avec
et interpréter les animaux (humains et non humains) modifie ce qui se produit –
et dans quelle mesure peuvent-ils être honnêtes, ou mettre leurs propres
intérêts de côté ? Ces problèmes valent aussi pour les interprètes dans des
contextes humains. Toutefois, l’avantage des interprètes sur les collaborateurs
proposés par Donaldson et Kymlicka, travaillant en relation étroite avec les
animaux basée sur la confiance est que ce sont des personnalités publiques qui
peuvent être tenues responsables de leurs actes. Mettre l’accent sur le langage
plutôt que sur la confiance et la dépendance favorise la prise au sérieux des
animaux en tant qu’acteurs politiques, et bien sûr les autres animaux peuvent
aussi être des interprètes. Comme je l’ai mentionné précédemment, la
possibilité d’une mauvaise compréhension est inhérente à chaque acte de communication,
mais les malentendus peuvent se révéler utiles
(comme dans le cas d’Alex et Pepperberg) pour apprendre sur l’autre, ou sur sa
propre position. Ainsi, bien que cela puisse ne pas directement résoudre les
problèmes, communiquer de façon explicite et faciliter les communications dans
différents contextes apportera très probablement un éclairage nouveau sur les relations
et pourrait faire que de nouvelles relations soient possibles.
IV. Démocratie animale. Jusqu’ici, j’ai
soutenu que si nous voyons les animaux comme des acteurs politiques et si nous
étendons les cadres politiques existant pour les y inclure, il nous faut réfléchir à la communication politique. J’ai aussi fait
valoir que, bien que les animaux soient souvent représentés comme muets ou
silencieux, en réalité ils ne le sont
pas. Ils communiquent entre eux et avec les humains et cette communication a
formé la signification de mots et de concepts, même si le langage est souvent
présenté comme exclusivement humain.
Donaldson et
Kymlicka proposent d’étendre le système politique démocratique libéral existant
pour y inclure les autres animaux. Ils soulignent de manière convaincante les
faiblesses des théories des droits des animaux qui se concentrent uniquement
sur les droits négatifs, et ils soutiennent qu’il nous faut une
description des droits positifs dans laquelle les animaux (au moins certains
d’entre eux, comme les animaux domestiques qui participent aux communautés partagées
humanimales) sont inclus dans les procédures décisionnelles. Cependant, la
structure de leurs arguments expliquant pourquoi il conviendrait d’accorder des
droits aux animaux est semblable à d’autres théories des droits des animaux,
qui se focalisent sur l’inclusion des animaux dans les communautés morales en
étendant des concepts humains existants43.
Commentant les théories
des droits des animaux de Singer et de Regan,
Cary Wolfe44 examine l’argument en faveur de l’extension aux
autres animaux d’un concept humain ou humaniste, comme les droits humains
universels. Il est couramment avancé que nous devons étendre un concept humain
aux autres animaux car il s’applique à ces derniers au même titre qu’aux humains45
et parce que la discrimination basée sur l’espèce serait injuste et
arbitraire. Nous pouvons voir un exemple de cette logique dans le Projet Grands
Singes au travers duquel des philosophes (Singer, Cavalieri), éthologues et
autres scientifiques plaident en faveur d’un ensemble restreint de droits
négatifs universels – le droit à la vie, à la protection de la liberté
individuelle, et à ne pas être torturé – pour les grands singes, sur la base de
leurs similitudes avec les humains. Les primates non humains possèdent une ipséité
(selfhood), forment des communautés,
ont des cultures, utilisent des outils et un langage, etc. et si ce genre de
caractéristiques sont moralement pertinentes pour les humains, elles le sont
pour les autres primates. Donc, si nous pensons que des droits doivent être
accordés aux humains en vertu du fait qu’ils possèdent ces caractéristiques,
les autres animaux qui les possèdent doivent bénéficier de ces droits également.
Une fois la chose établie pour les grands singes, l’argument pourrait et
devrait être étendu à d’autres espèces pour des raisons similaires. Il serait
arbitraire d’étendre ces droits aux seuls primates non humains, les droits
négatifs qui sont proposés étant importants pour de nombreuses espèces. Par
conséquent, la voie suivie par les
théories des droits des animaux a pour résultat intéressant de montrer comment
la logique inhérente aux droits humains mène à la conclusion que ces droits
devraient aussi s’appliquer aux autres animaux.
Parce que les
droits des animaux sont des outils puissants sur les plans théorique et pratique,
et parce que les enjeux sont élevés pour tant d’animaux non humains, Wolfe aborde
avec « pragmatisme»46 la question du soutien aux projets en
faveur des droits des animaux. Il considère que ces projets et les discours
qu’ils inspirent ont un grand pouvoir rhétorique parce qu’ils sont des « vestiges
»47. Mais il n’offre son soutien
qu’en suspens, pourrait-on dire, et seulement compte tenu du fait essentiel que les théories et procédures opérationnelles dont nous disposons actuellement pour articuler la relation sociale et juridique entre l’éthique et l’action sont inadéquates […] pour réfléchir à l’éthique de la question de l’animal humain et non humain48.
___________________
43. Dans Zoopolis,
Donaldson et Kymlicka donnent un aperçu clair des arguments des théories
actuelles des droits des animaux et de leur propre point de vue sur la
question.
44. Cary Wolfe, Animal Rites: American Culture, the
Discourse of Species, and Posthumanist Theory.
45. Au motif qu’ils sont des êtres sentients, ou des « sujets
d’une vie », comme le font valoir respectivement Singer et Regan
46. Cary Wolfe, op.cit.,
p. 191
47.
Ibid., p. 192
48. Ibid. [Ma traduction].