Introduction
Les militants pour les droits des animaux
divergent sur la question de savoir lesquels, des arguments empiriques, basés
sur les faits comme ceux qui concernent la nutrition, ou des arguments
éthiques, basés sur des valeurs comme l’immoralité de faire souffrir des
animaux sensibles, ont une validité et une efficacité potentielle plus grandes.
Je tiens à aborder le sujet en termes d’arguments "extrinsèques" et
"intrinsèques" - une distinction qui correspond seulement en partie à
l’opposition empirique-éthique - et à démontrer que l’on fait mieux progresser
les droits des animaux en utilisant des arguments intrinsèques.
"Les arguments extrinsèques" sont
ceux qui cherchent à promouvoir un objectif et son principe sous-jacent en
ayant recours à des considérations politiquement, historiquement, ou
logiquement dissociables de cet objectif et de son principe. Les
"arguments intrinsèques" font appel à des considérations
indissociables, inhérentes à cet objectif et à son principe. Dans ce cas précis,
le but est la libération animale et le principe, celui de l’égalité morale des
espèces.
Par exemple, l’affirmation selon laquelle
le végétarisme (dans l’idéal, le véganisme) aide à réduire la souffrance
animale est un argument intrinsèque, mais le végétarisme peut également être
justifié par des raisons extrinsèques comme ses bienfaits pour l’environnement.
On peut dissocier le végétarisme de ses bienfaits pour l’environnement, puisque
il est logiquement possible que l’un ne mène pas à l’autre et que, par ailleurs,
la défense de l’environnement est une cause politique indépendante. Mais on ne
peut pas dissocier le végétarisme de son bénéfice pour les animaux, puisque le
mot végétarisme, quel que soit son étymologie, est employé pour signifier
s’abstenir de manger de la viande ou des produits d‘origine animale. On
pourrait objecter que le "bénéfice pour les animaux" est un sujet
indépendant en cela qu’il y a d’autres moyens de réduire les souffrances des
animaux que le végétarisme, ou que l’on peut promouvoir le végétarisme
seulement pour ses bienfaits sur la santé humaine. Mais en terme de
militantisme pour les droits des animaux, le végétarisme est mis en avant pour
les raisons intrinsèques qu’il bénéficie aux animaux eux-mêmes.
La défense des arguments intrinsèques ne
repose pas sur un souci de pureté idéologique, mais sur la nécessité
d’atteindre un public qui, bien qu’en partie réceptif à nos idées dans certains
domaines, est bien loin de l’acceptation nécessaire pour faire des progrès
significatifs. A un moment donné de nos échanges avec le public, la discussion
achoppe sur des réactions du type : "Oui, c’est terrible, mais c’est
justifié si ça sauve des vies humaines" ou "Oui, c’est terrible et
injustifiable, mais il y a d’autre sujets de préoccupation plus importants."
Nous devons attaquer le spécisme
frontalement, plutôt que nous appuyer sur des arguments extrinsèques plus
consensuels- "des schémas existants largement admis" selon la
formulation de Yates (2006) - qui relèguent tacitement les droits des animaux
et ses exigences politiques à une position marginale et même
"extrême" . En plus de renier les droits des animaux, les arguments
extrinsèques comportent des implications incohérentes et évasives susceptibles
de laisser le public dans le doute et la confusion, sans qu’il lui soit
possible de mettre le doigt sur ce qui ne va pas.
Il est vrai que les arguments extrinsèques
ont eu certains effets positifs. Si pour d’autres raisons que les droits des
animaux, une seule personne est devenue vegan ou a décidé de s’opposer à la
vivisection, tandis qu’une autre a fait un petit pas dans la bonne direction en
abandonnant la "viande rouge", par exemple, cela bénéficie aux
animaux et à la planète. Mais ce dont nous avons vraiment besoin pour libérer
des billions d’animaux, c’est d’une transformation d’ordre qualitatif de
l’opinion publique. Sans un changement de paradigme moral, le public pourrait
ne jamais être suffisamment motivé pour passer outre son propre intérêt à
utiliser des animaux ou s’opposer au protectionnisme agressif des gouvernements
en faveurs des industries qui maltraitent les animaux.
Types
et sous-types d’arguments
Durant
cette démonstration j’examinerai, entre autres arguments extrinsèques,
l’argument d’autorité, le lien entre droits des humains et droits des animaux,
et l’argument opportuniste. En ce qui concerne les arguments intrinsèques, je
traiterai de l’appel à la compassion et de la critique du spécisme. La critique
du spécisme a deux composantes principales : l’affirmation de l’égalité morale,
et la dénonciation et le refus d’une éthique fondée sur la domination. Je ne
traiterai, parmi les innombrables formes d’exploitations et de mauvais
traitements des animaux, que de la consommation de viande et de produits
d'origine animale et de la vivisection car ils concernent le plus grand nombre
d’animaux et sont, par conséquent, les secteurs les plus importants à cibler.
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* Texte original Extrinsic and Intrinsic Arguments: Strategies for Promoting Animal Rights paru dans le Journal for Critical Animal Studies, Vol V, issue 1, 2007, traduit de l'anglais par Marceline Pauly, et publié avec la permission de l'auteure.Militante animaliste de longue date, Katherine Perlo a écrit divers essais parmi lesquels Should anti-vivisectionists boycott animal-tested medicines? également publié par le Journal for Critical Animal Studies , Marxism and the underdog,
"Would you let your child die rather than experiment on non-human animals ?" A comparative questions approach parus tous les deux dans le Society and Animals Journal
Elle est aussi l'auteur de Kinship and killing : The Animal in World Religions , Columbia University Press, 2009.