mettre
ce fait en avant. Alors pourquoi nous mettons sur la défensive - acceptant
ainsi tacitement que notre cause doive être marginale et impopulaire, en
protestant que nous nous préoccupons des humains ?
Ce
n’est pas une question rhétorique, car si le temps que nous consacrons à
militer est destiné aux animaux, c’est du temps qui n’est pas consacré aux
humains, si ce n’est dans le sens holistique que toutes les bonnes causes se
renforcent les unes les autres, de sorte qu’aider les animaux aiderait les
humains à long terme. Il est vrai que, quelle que soit la façon dont on choisit
d’occuper son temps, celui que l’on consacre à une activité est perdu pour une
autre. Un collecteur de fond pour Oxfam soustrait du temps au Respect Party, et
vice versa. Mais dans l’opinion du public, cela n’est pas gênant car - même si
un individu préfère une cause à une autre, les bénéficiaires dans les deux cas
sont des humains et donc égaux moralement.
Lorsque
les animaux sont en compétition avec les humains pour des ressources
politiques, c’est une autre histoire ; on nous dit alors que "la raison
pour laquelle …tant de britanniques semblent préférer s’insurger contre ce
qu’ils pensent être une injustice envers les animaux plutôt que de diriger
leurs énergies en faveur de leur semblables, est loin d‘être claire."
(Trevor Parfitt, cité in Hollands 1980: 117). Si cette attitude était menée à
sa conclusion logique, toutes les organisations animalistes et toutes les lois
de protection animale devraient être abolies pour libérer des ressources pour
les organisations en faveur des humains et la police jusqu’à ce que tous les
maux des humains soient vaincus. C‘est bien la conclusion proclamée presque
littéralement dans les publicités affichées le 10 janvier 2007 par
l’organisation pour les handicapés "Enable". Celle-ci "veut que
les affiches montrent que les organisations de protection animale attirent
presque le double de donateurs que celles en faveur des personnes handicapées.
" (Mac Donald 2007) et pour ce faire, inclut "des phrases comme celle
d’une personne handicapé disant 'Si je mangeais dans la gamelle d’un chien,
est-ce que vous m’aimeriez plus ?' " (Robins 2007).
Puisque
nous ne pouvons pas nier que le temps consacré aux animaux représente, selon un
point de vue restrictif , un coût en terme d‘opportunité politique en faveur
des humains, la réponse appropriée à des remarques comme celle de Parfitt est
l’affirmation de l’égalité morale entre humains et animaux. Dire "mais
nous nous préoccupons aussi des humains; William Wilberforce s’est opposé à
l’esclavage, et j’étais à une manifestation contre la guerre la semaine
dernière" c’est offrir une action "importante" en compensation
d’une autre qui le serait moins. Ainsi cet argument, parce qu’il est étranger à
nos préoccupations réelles, constitue une concession au spécisme.
Et,
aussi longtemps que nous permettrons cette concession, la compensation ne sera
jamais suffisante car les spécistes feront valoir que Wilberforce et nous-mêmes
aurions dû consacrer tout notre temps libre aux causes humaines. Même si notre
objectif est simplement de rétablir l’équilibre et d’obtenir l’égalité, et même
si nous pensons que nous faisons partie d’un projet de libération globale, les
opposants se plaindront encore que "Vous vous souciez plus des animaux que
des gens !". A ceci, nous devrions répondre "Oui, en ce qui concerne
notre action militante, c’est vrai, car leurs besoins sont plus grands parce
que les traitements qu’ils subissent sont pires, parce qu’ils sont impuissants
et que le système politique est indifférent à leur égard." Nous devrions
répondre dans cet esprit là plutôt qu’insister faiblement que nous, ainsi que
les célébrités dont nous citons les noms afin de soutenir notre propos, sommes
des gens très biens qui militons aussi en faveur des humains.
Je
ne veux pas dire qu’en tant que militants animalistes nous devrions nous
abstenir de soutenir des causes qui nous importent. Mais ces actions, qu’elles
soient menées par nous ou par ces célébrités, ne devraient pas être mises en
avant dans le cadre du militantisme pour les droits des animaux.
- Les liens entre droits pour les humains et droits pour les animaux
Le rapprochement droits des humains-droits des animaux ressemble à l’argument du militant animaliste et néanmoins défenseur des causes humanistes. Il est vrai que certaines personnes sont passés du militantisme pour les droits humains au militantisme pour les droits des animaux pour des raisons semblables à celles d’Henri Spira :
Pour moi, la libération animale signifie une extension de la libération humaine…Les militants pour la libération animale…s’identifient avec les impuissants et les vulnérables, les victimes, tous les dominés, opprimés et exploités. Et ce sont les animaux non-humains dont les souffrances sont tout à la fois les plus intenses, les plus répandues, systématiques, en perpétuelle augmentation et acceptées par la société. (Spira 1992: 38).
Mais
bien que Spira soit, pour je ne sais quelle raison biographique, exempt de
parti pris humaniste, pour le public ce lien pourrait évoquer simplement
l’affirmation de devoirs indirects et limités envers les animaux, ou impliquer
qu’en dernière instance, les humains priment. Les analogies avec le racisme, le
sexisme, l’esclavage, l’holocauste, et les cas humains "marginaux"
(par ex. les comateux) non seulement échouent souvent mais sont retournées
contre nous, les gens s’indignant que l’on compare victimes humaines et
victimes animales. Il est inutile de leur préciser que la comparaison concerne
l’oppression des victimes humaines et animales; les spécistes la réinterprète
rapidement dans le sens de leur horreur vis-à-vis de toute identification aux
animaux non humains.
Il
n’est pas non plus utile de souligner que nous ne dévalorisons pas les humains,
mais revalorisons les animaux, car cela aussi est une menace pour le différentiel
dont dépend le sentiment de la valeur de l’être humain depuis
des millénaires. Examinons la
défense de l’expérimentation sur les grands singes faite
par Blakemore, dans laquelle